La grâce du « placard »

Je travaillais à l’époque pour une organisation dont le terreau n’était pas fait pour moi. Entêtée à y rester, essentiellement par absence de plan B et par besoin de sécurité, j’étais pourtant harcelée par une petite voix intérieure qui me susurrait « Fais autre chose ! », « Arrête tout, tu t’étioles chaque jour un peu plus ! », « Il faut que tu te casses de ce job ! ». Evidemment, le quotidien reprenait le dessus, m’étourdissait d’une multitude de tâches et de prétextes à procrastination, et je ne bougeais pas. Les rêves reçus à cette période-là éclairaient d’ailleurs parfaitement l’enfermement volontariste, coupé de la sagesse intérieure, dans lequel je me trouvais.

Plusieurs mois passèrent ainsi, à enfiler les perles d’une vie sans saveur mais dont l’efficacité insipide m’était familière. Et puis je décidais de « faire un break » (gare à la puissance des mots !) : une randonnée en montagne entre Noël et jour de l’An. Je fis le 30 décembre une chute d’une violence telle que je ne la souhaite à personne. Mon corps rebondit sur 200 mètres de roches à pic et plaques verglacées. Pneumothorax. Hémothorax. Omoplate brisée. Clavicule déboîtée. Grill costal fracturé… La vie m’a prise au mot « Casse-toi ! », m’imposant ce que je refusais d’entendre.

La suite de l’histoire a été pour moi tout aussi riche d’enseignements. Après coup, évidemment. deux bons mois plus tard, je retourne au bureau, où personne ne m’attend. Je n’ai plus vraiment de mission, mes dossiers ont été redistribués, la gouvernance a changé en mon absence, je n’ai plus de repère. Me voilà au placard. Expérience douloureuse pour mon ego, qui se sent humilié. J’oscille entre l’indignation et la honte. Je lutte pour faire entendre l’injustice à un système déjà réorganisé sans moi. Je nie les évidences pendant plusieurs semaines.

Puis, soutenue par la confiance de mes proches et la solidité bienveillante de mes thérapeutes, je change de regard sur la réalité. Sans minimiser la brutalité des changements qui me sont successivement imposés, j’en cherche le sens et la symbolique. Je détricote ma vie, mes choix, mes erreurs, mes aveuglements, mes croyances, mes motivations, mes aspirations. Je puise aux sources des sagesses universelles, de la philosophie, de la psychologie, de la poésie. Je lis, j’apprends, j’écris pour entrer en contact étroit, quotidien, aimant, créatif, avec ce qui bruisse au plus profond de moi. Je m’ouvre aux synchronicités et au langage symbolique des rêves que je reçois. Je rétablis l’équilibre entre ma vie intérieure et ma vie extérieure.

Et de cette période initiatique émerge peu à peu une voie d’évolution nouvelle, un nouvel alignement intérieur pétri par les formations et les rencontres, toujours au travail, qui s’incarne notamment dans le projet UnPetitPasPour.

Les enseignements que j’ai tirés de cette histoire ?

1/ Toujours écouter la petite voix intérieure, surtout quand le mental et le moi résistent !
2/ Le verbe est puissant, il crée la réalité. Canaliser ses pensées et ses mots vers la confiance inébranlable en la vie.
3/ Ce que l’on vit comme un « placard » est justement un moment idéal pour faire le point et poser les fondations de l’étape d’après.
4/ Ralentir permet d’accueillir l’inspiration et de caler sa fréquence sur celle des signaux faibles envoyés par la vie, ou par le Soi, pour les Jungiens.
5/ La vie est en recherche permanente d’équilibre. Nul ne peut aller contre cela.