Le jour où Pierre RABHI m’a téléphoné

Pierre RABHI

C’était un de ces soirs d’hiver sombre et pluvieux comme le Nord sait parfois les inventer. Ma journée avait été maussade et contrariée de mille imprévus. Affalée sur ma chaise, j’en remâchais l’âpreté avec une certaine lassitude.

20h10. Mon téléphone portable sonne, affichant un numéro commençant par 04. Présumant l’intrusion commerciale d’une quelconque industrie tertiaire, je décroche en soupirant, déjà prête à éconduire l’importun.- » Oui ? » Marmonnais-je, m’exonérant de décliner mon identité.
– « Bonsoir, c’est Pierre Rabhi » prononce une voix douce.
– ….
– » Vous êtes Frédérique Petit ?
– « Oui », répondais-je automatiquement, mes neurones pédalant pour connecter le nom donné par l’interlocuteur à une réalité tangible. Les visages de tous les Pierre de ma vie défilaient devant mes yeux.
« – J’ai fini votre livre et je voulais vous remercier »

Mon livre. Pierre. Pierre Rabhi.
La connexion se fit enfin, me submergeant d’émotions.
C’est très spontanément et dans un élan du cœur que j’avais adressé mon premier livre, Les chemins intérieurs, fraîchement édité quelques semaines plus tôt, aux bons soins de l’association Colibris, leur demandant de bien vouloir le transmettre à Pierre Rabhi, dont j’ignorais l’adresse. Comme on lance une bouteille à la mer, avec l’envie de le remercier, de partager mon parcours et mes questionnements.
Les livres révèlent l’âme de leurs auteurs. Et je suis touchée, nourrie et inspirée depuis longtemps par celle de Pierre Rabhi. Par son parcours de vie. Par la délicatesse de ses écrits. Par sa quête et son engagement. Il fait partie de ceux dont la pensée m’accompagne.
Et puis j’avais oublié ce geste, puisque je n’avais aucune attente de réponse.
Après coup, et au-delà du plaisir évident que j’ai eu d’échanger quelques minutes avec cet homme, j’ai été frappée par une autre réalité : la simplicité de son geste.
J’ai pris conscience que mon vécu social et professionnel m’avait tellement habitué à un cloisonnement invisible entre les visibles et les autres, entre les puissants et les autres, entre les actifs et les autres, que j’avais occulté la possibilité qu’un être humain puisse s’affranchir de sa notoriété, de son savoir et d’un agenda plein à craquer, pour se rendre disponible à un inconnu en quelques mots d’amitié et de reconnaissance réciproque.
Magnifique incarnation de l’absence d’identification à son statut social ! Combien sommes-nous, qui, nous croyant ou nous désirant « au-dessus de la mêlée », encombrés de pudeur ou de représentations figées, restons coupés de cette simplicité d’être, incapables de se relier à l’autre gratuitement et sans calcul ?
Ce coup de fil de 10 minutes m’a davantage inspiré et appris sur la posture de leader humain qu’en 20 ans en entreprise.
Merci Pierre, pour ce cadeau.