Pierre-Louis NICOLAS, dit Pedro, a créé en 2024 Notre Bulle d’Air, une entreprise d’élagage, à Ouroux en Morvan. Il nous parle de son parcours atypique, façonné par le sens de l’amitié, l’instinct de liberté, et la beauté des rêves. Rencontre grandeur nature avec un élagueur amoureux des arbres.
Télécharger la version complÈTE ICI :
Les chemins zintérieurs-Mars 2025
À 15 ans, je n’avais pas d’autre ambition que d’aimer une femme et mes potes ! Aimer et être aimé, c’était mon projet de vie. J’ai longtemps voulu vivre avec insouciance, sans me prendre la tête. Le sport, la nature et les autres : je me disais qu’avec ces 3 trucs-là, il y aurait moyen de vivre.
Les discussions d’adultes me saoulaient. Peut-être parce que je n’étais pas excellent élève. Né dyslexique dans une famille de profs, toujours moyen ou pas bon, je suis devenu le mec à part. J’ai souffert d’être le vilain petit canard, à côté d’une soeur qui était une excellente élève. Ça a créé des brèches dans l’estime de moi. Encore aujourd’hui, dans mon engagement chez les pompiers, il m’arrive de reconnaître une petite musique : « a du potentiel mais ne l’exploite pas » !
J’ai vite trouvé ma place dans le rôle du grand frère qui s’occupe des plus petits. Le BAFA, à 17 ans, s’impose comme une évidence. Je travaille en animation durant les vacances scolaires et je prends ma revanche dans le sport. Je suis dans les meilleurs français au judo, mais je lâche car je ne me retrouve pas dans l’état d’esprit, fixé sur la performance « Vas-y !», « Défonce le ! »
Un de mes rêves était d’être agent d’un parc national, comme mon oncle, qui gardait le parc des Écrins, jumelles à la main. La rencontre avec un prof d’EPS au lycée me fera préférer une filière sportive (STAPS) à un lycée agricole qui était le chemin pour rejoindre mon rêve.
Ce prof m’a vu comme « capable ». Il a vu en moi les qualités physiques, sociales et le sens de la pédagogie nécessaires pour devenir prof d’EPS. Il a été un père spirituel. Un père dur, mais qui croyait en moi : ça m’a donné les ailes dont j’avais besoin. Car s’est alors ouvert un parcours du combattant. Pour rejoindre la filière STAPS, il fallait passer par un Bac scientifique. Moi qui étais insouciant, j’ai dû sortir les rames, dépasser les échecs, mais après quelques années, je suis arrivé en STAPS à Dijon. J’ai bien profité de ma première année de liberté, et j’ai donc raté mon examen de DEUG1. L’année suivante, un violent accident de la route me brise le bras et m’empêche de passer l’examen. Je me réoriente dans une licence Animation et gestion du développement des activités physiques et sportives.
J’ai 25 ans, me voilà saisonnier dans l’animation outdoor, l’été au lac des Settons, l’hiver à la montagne ou dans les sapinières. Je passe plein de diplômes permettant d’encadrer les collectifs dans des activités de plein air, de l’escalade au kayak. Je suis un couteau suisse, capable de répondre à tous types de demandes. Toujours avoir plusieurs cordes à son arc pour pouvoir rebondir en cas de besoin, c’est sans doute un héritage familial. J’ai tout ce que j’aime : la liberté, l’accueil des publics, la vie en collectif avec les animateurs, la vie au grand air. Il ne me manque qu’une compagne. Timide, sensible, respectueux des femmes, j’aime plus que je ne suis aimé et je suis malheureux…
LE VOYAGE INITIATIQUE
Peu avant 30 ans, pour fuir le blues, je pars avec ma soeur en Amérique du Sud. Sac au dos, je traverse en trois mois l’Argentine jusqu’à Ushuaia, la Bolivie et le Pérou. Loin de mes bases, loin de mon groupe d’amis, j’éprouve et renforce mes convictions sur la vie : la nature est incroyable, les rencontres sont riches, la vie est belle dans la simplicité du voyage à pied. C’est un voyage qui me réveille et me permet d’entrer en unité avec mon âme. Je fais tatouer dans ma chair un arbre de vie porté par des ballons de baudruche. J’inscris profondément en moi des maximes qui me guident encore aujourd’hui : « Il n’y a pas de chemin vers le bonheur, le bonheur, c’est le chemin ». Ou encore : « La vie est un tango, celui qui ne le danse pas est un idiot.
“La vida es un tango, el que no lo bailé es un tonto”
Au retour, je sais qui je suis. Et je rencontre Elodie, ma compagne. J’ai connu des accidents, j’ai failli y rester plusieurs fois. Je rentre avec la conviction qu’il faut bouffer la vie à chaque instant.
Je ne laisse pas aux doutes le temps de s’installer : je contacte plusieurs centres sociaux pour trouver du travail et je serai recruté aux Settons, où je ferai 10 ans d’animation du public. Et puis j’ai été rattrapé par l’envie de réaliser de nouveaux défis en mettant en oeuvre le rêve de mes 20 ans : partager la plénitude de l’immersion dans la nature.
UN POÈTE A LA TRONÇONNEUSE
Créer une entreprise d’élagage, c’est regrouper ma passion des arbres et du grand air dans un métier de service. Mais pour l’instant je ne suis pas encore fier de mon travail ! Je coupe, j’élague, je débarrasse les gens de l’arbre qui les gène. Ici il y a tellement d’arbres qu’on peut se dire que si on en retire un, ce n’est pas grave. Mais moi j’aimerais approcher l’arbre dans sa globalité, le respecter en tant qu’être vivant dans son environnement. Mon rôle dans l’élagage, c’est surtout de prendre soin des arbres, d’entrer en dialogue avec eux. J’aimerais faire de petites tailles, retirer les bois morts pour mettre en valeur leur architecture. C’est comme les croquis que je traçais quand je faisais des arts plastiques aux Beaux Arts… Faire ressortir les belles choses.
“Être élagueur, c’est se balader autour de l’arbre, presque comme une danse avec l’arbre, un mouvement pendulaire, une voltige, c’est magnifique !”
Ce projet là, autour des arbres, c’est vraiment moi. Le sport, comme l’élagage, c’est ma façon d’entrer dans le monde, de trouver ma place sociale et professionnelle. Mais en fait, ce sont des moyens au service de la poésie qui m’habite. J’ai toujours eu besoin de beauté et d’harmonie. Je la trouve dans la nature et dans les relations.
J’apprécie d’être qui je suis à travers l’autre et sa différence. J’aime quand il n’y a pas de barrière, pas de frontière, juste la vérité des vivants.
Et ça, j’aimerais le faire vivre. En dehors des saisons de taille (octobre à février), j’ai envie de transmettre cette façon de regarder le monde au grand public. Je vais donner des courts de tennis à Ouroux, et peu à peu, créer de nouvelles offres. J’ai toujours rêvé de faire découvrir la nature par des mini-circuits d’immersion dans la nature, en mixant plusieurs formes, allant de la balade, à la nuit dans les arbres, le nez dans les étoiles, de la grimpe d’arbre à l’itinérance dans les cimes. On peut être costaud et rêveur, professionnel et utopiste. En tant qu’homme, je revendique ma part de féminin, de sensibilité et mon besoin de contemplation.
DES RACINES ESPAGNOLES…
Je remercie mon cercle familial pour leur confiance en moi. Et je pense particulièrement à mes deux grands-pères. Epifanio (qui signifie « celui qui donne la lumière »), mon grand-père espagnol, c’est mon héros. Un homme courageux et libre, qui s’est opposé au régime franquiste. Emprisonné, il a frôlé la mort et s’est échappé. Une fois à Auxerre, il a fait venir sa femme et leurs 4 enfants, dont ma mère Juana. Une vie avec peu de moyens, mais des valeurs fortes de bonté, simplicité, générosité et partage. Il donnait sa chemise alors qu’ils n’avaient rien. J’espère que tu me vois, là où tu es, car je suis dans tes traces.
Mon grand-père paternel, Julien, était prof de maths et plus académique. Mais je lui dois mes premiers contacts avec le bois, l’odeur de la sciure dans l’atelier. Il était hyper exigeant, souvent injuste, avec mon père, puis avec moi. Je crois qu’il ne comprenait pas notre atypisme. J’avais sans doute une revanche à prendre pour prouver que j’étais « beau à l’intérieur » et que, avec mon style bien à moi d’apprentissage, par la réalisation concrète et l’expérience, je pouvais tracer ma route.
Je suis fier de l’environnement que je me suis construit. Vivre à la campagne sans être isolé, avoir des activités différentes. Je vis avec une très chouette nana qui me soutient, et je ferai tout pour pouvoir lui permettre de réaliser ses rêves à elle.
On partage les mêmes valeurs de construction et d’éducation de nos deux magnifiques enfants. On s’est enraciné dans le Morvan depuis 12 ans, à Ouroux, dans ce village qui nous ressemble.
…AU RHIZOME D’OUROUX EN MORVAN
A Ouroux, les « néos » sont mélangés avec les locaux. Mais quand t’es installé, tu es d’Ouroux. C’est une richesse de se construire ensemble, d’échanger, de se rencontrer dans nos différences. Pour moi, ça manque même d’autres cultures ! Toutes les personnes à qui j’ai eu envie de tendre la main, de sourire, avec qui j’ai partagé des coups de main, sont devenues des amis.es.
Ce que je porte, l’ouverture, la bonté, la pudeur, ça se reflète comme un miroir chez les autres, ça transpire. On est capable d’être à la fois très ouverts et très respectueux de l’intimité de l’autre, avec beaucoup de tendresse.
L’état du monde, la politique ? Je m’en préserve énormément car je pleure déjà sur les malheurs à proximité immédiate, alors le monde… Trop de choses m’énervent, les guerres, les conflits religieux… L’actualité, je ne la regarde pas. Je me concentre sur mon environnement proche, nourrir ma famille et ma communauté.
Si chacun de nous travaillait là-dessus, ce serait déjà pas mal, non ?