J’accueille l’humanité en déroute.

Gardien du sas entre la vie et la mort, j’accueille l’humanité en déroute.

Je suis débordement de patients, digue enflée jusqu’à la rupture.

Hier pantin d’un système absurde, aveuglé d’avidité,

J’essuie ma rage sur la doublure des vestes prestement retournées.

Je transcende ma colère en solidarités,

Je me jette corps et âme dans les vagues écumantes du tsunami Covid,

Je puise aux sources de ma vocation,

J’honore la mémoire et le courage de mes pairs,

Debout dans la tempête, j’assume, j’agis, je donne.

 

Soutien aux soignants_7 avril 2020_Frédérique Petit

 

 

Il est bon de suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant.

Extrait de Les Faux-monnayeurs – André Gide

 

Il m’importe de me prouver que je suis un homme de parole, quelqu’un sur qui je peux compter.
– Je vois surtout là de l’orgueil.
– Appelez cela du nom qu’il vous plaira : orgueil, présomption, suffisance…
Le sentiment qui m’anime, vous ne le discréditerez pas à mes yeux. Mais, à présent, voici ce que je voudrais savoir : pour se diriger dans la vie, est-il nécessaire de fixer les yeux sur un but ?
– Expliquez-vous.
– J’ai débattu cela toute la nuit. A quoi faire servir cette force que je sens en moi ? Comment tirer le meilleur parti de moi-même ? Est-ce en me dirigeant vers un but ? Mais ce but, comment le choisir ? Comment le connaître, aussi longtemps qu’il n’est pas atteint ?
– Vivre sans but, c’est laisser disposer de soi l’aventure.
– Je crains que vous ne me compreniez pas bien. Quand Colomb découvrit l’Amérique, savait-il vers quoi il voguait ? Son but était d’aller devant, tout droit. Son but, c’était lui, et qui le projetait devant lui-même…
– J’ai souvent pensé, interrompit Édouard, qu’en art, et en littérature en particulier, ceux-là seuls comptent qui se lancent vers l’inconnu. On ne découvre pas de terre nouvelle sans consentir à perdre de vue, d’abord et longtemps, tout rivage. Mais nos écrivains craignent le large ; ce ne sont que des côtoyeurs.
– Hier, en sortant de mon examen, continua Bernard sans l’entendre, je suis entré, je ne sais quel démon me poussant, dans une salle où se tenait une réunion publique. Il y était question d’honneur national, de dévouement à la partie, d’un tas de choses qui me faisaient battre le cœur. Il s’en est fallu de bien peu que je ne signe certain papier, où je m’engageais, sur l’honneur, à consacrer mon activité au service d’une cause qui certainement m’apparaissait belle et noble.
– Je suis heureux que vous n’ayez pas signé. Mais ce qui vous a retenu ?
– Sans doute quelque secret instinct… Bernard réfléchit quelques instants, puis ajouta en riant :
– Je crois que c’est surtout la tête des adhérents ; à commencer par celle de mon frère aîné, que j’ai reconnu dans l’assemblée. Il m’a paru que tous ces jeunes gens étaient animés par les meilleurs sentiments du monde et qu’ils faisaient fort bien d’abdiquer leur initiative, car elle ne les eût pas menés loin, leur jugeote, car elle était insuffisante, et leur dépendance d’esprit, car elle eût été vite aux abois. Je me suis dit également qu’il était bon pour le pays qu’on pût compter parmi les citoyens un grand nombre de ces bonnes volontés ancillaires, mais que ma volonté à moi ne serait jamais de celles-là. C’est alors que je me suis demandé comment établir une règle, puisque je n’acceptais pas de vivre sans règle et que cette règle je ne l’acceptais pas d’autrui.
– La réponse me paraît simple : c’est de trouver cette règle en soi-même ; d’avoir pour but le développement de soi.
– Oui… c’est bien là ce que je me suis dit. Mais je n’en ai pas été plus avancé pour cela. Si encore j’étais certain de préférer en moi le meilleur, je lui donnerais le pas sur le reste. Mais je ne parviens pas même à connaître ce que j’ai de meilleur en moi… J’ai débattu toute la nuit, vous dis-je. Vers le matin, j’étais si fatigué que je songeais à devancer l’appel de ma classe ; à m’engager.
– Échapper à la question n’est pas la résoudre.
– C’est ce que je me suis dit, et que cette question, pour être ajournée, ne se poserait à moi que plus gravement après mon service. Alors je suis venu vous trouver pour écouter votre conseil.
– Je n’ai pas à vous en donner. Vous ne pouvez trouver ce conseil qu’en vous-même, ni apprendre comment vous devez vivre qu’en vivant.
– Et si je vis mal, en attendant d’avoir décidé comment vivre ?
– Ceci même vous instruira. Il est bon de suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant.

Extrait de Les Faux-monnayeurs – André Gide

Liberté, poème de Paul Eluard

Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom

Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom

Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom

Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom

Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom

Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom

Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom

Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom

Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom

Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom

Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom

Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom

Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom

Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom

Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom

Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom

Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom

Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom

Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté.

Paul Eluard

 

Comment affronter l’isolement ?

– Maître, comment puis-je affronter l’isolement ?
Nettoie ta maison. À fond. Dans tous les coins.
Même ceux que tu n’as jamais eu envie, le courage et la patience de nettoyer.
Fais en sorte que votre maison soit brillante et soignée. Enlève la poussière, les toiles d’araignées, les impuretés. Même les plus cachées.
Ta maison te représente toi-même : si tu prends soin d’elle, tu prends soin de toi aussi.

– Maître mais le temps est long.
Après avoir pris soin de moi à travers ma maison comment puis-je vivre l’isolement ?

– Répare ce qui peut être réparé et élimine ce dont tu n’as plus besoin.
Consacre-toi à la remise, brode les arraches de ton pantalon, coud bien les bords défilés de vos robes, restaure un meuble, répare tout ce qui vaut la peine d’être réparé.
Les autres, jette-les. Avec gratitude.
Et avec conscience que c’est un cycle qui se termine.
Réparer et supprimer en dehors de toi, permet de réparer ou de supprimer ce qu’il y a en toi.

– Maître et ensuite quoi ?
Que puis-je faire tout le temps seul ?

– Sème.
Même une graine dans un vase.
Prend soin d’une plante, arrose-la tous les jours, parle-lui, donne-lui un nom, enlève les feuilles sèches et les mauvaises herbes qui peuvent l’étouffer et lui voler de l’énergie vitale précieuse.
C’est une façon de prendre soin de tes graines intérieures, tes désirs, tes intentions, tes idéaux.

– Maître et si le vide vient me rendre visite ?… Si la peur de la maladie et de la mort arrivent ?

– Parle-leur.
Prépare la table pour eux aussi, réserve une place pour chacune de tes peurs.
Invite-les à dîner avec toi. Et demande-leur pourquoi elles sont venues de si loin chez toi. Quel message elles veulent t’apporter.
Qu’est-ce qu’elles veulent communiquer.

– Maître, je ne pense pas pouvoir faire ça…

– L’isolement est ton problème, ainsi que la peur de faire face à tes dragons intérieurs, ceux que tu as toujours voulu éloigner de toi. Tu ne peux pas fuir maintenant.
Regarde-les dans les yeux, écoute-les et tu découvriras qu’ils t’ont mis contre le mur. Ils t’ont isolé pour pouvoir te parler.
Comme les graines qui ne peuvent jaillir que si elles sont seules.

De Zen Toyo